Comment parlait-on de l'abbatiale de Saint-Martin-aux-Bois il y a 100 ans ?

Dans nos lettres précédentes, nous avons souvent insisté sur le caractère exceptionnel de l’architecture et des vitraux de l’abbatiale de Saint-Martin-aux-Bois. Aujourd’hui je vous propose de voir comment on en parlait au début du XXème siècle, cent ans après le classement par Mérimée et Viollet-le-Duc au titre des “Monuments Historiques“.

Paraphrasant notre Sociétaire R. Camus évoquant l’église Saint-Pierre d’Uzerche(1) l’église de Saint-Martin-aux-Bois “a fait partie de la première et fameuse fournée de 1840 des Monuments historiques, cette prestigieuse liste des grands crus classés“. Ci-dessous, vous trouverez des extraits de la publication de deux auteurs du début du siècle dernier : Jean Vernet-Ruiz et Jacques Vanuxem(2) :

Facsimilé du Bulletin 103, numéro 2, dans lequel est publié l'article de Jean Vernet Ruiz et Jacques Vanuxem

                                              L’architecture

« L’abbatiale de Saint-Martin-aux-Bois, visiblement élevée d’un seul jet, et parfaitement homogène, est un des plus beaux sanctuaires élevés en l’honneur de l’apôtre des Gaules. La longueur totale de l’édifice actuel est de 31m10, sa largeur de 18m 45. La hauteur sous clé de la nef est de 25m.»...

...« Cet extravagant développement de la vitrerie par rapport aux parties pleines n’est pas sans faire penser à certaines inventions brillantes des gothiques d’Angleterre s’efforçant de transformer en lanternes de verre les chœurs de leurs églises. Mais on ne connaît aucun exemple antérieur à Saint-Martin ou même contemporain, et c'est seulement au XIVè siècle qu’on voit apparaître les grandes fenêtres à étrésillons, annonciatrices des immenses verrières perpendiculaires des deux siècles suivants.»...

...« Il se présente au XIIIè siècle un seul rapprochement qui ne soit pas absolument forcé, celui avec les fameuses “cinq sœurs“, immenses lancettes du transept de la nouvelle cathédrale d’York en Angleterre lesquelles furent récupérées de la précédente cathédrale du XIIIéme s. détruite.»...

...« Saint-Martin-aux-Bois est impossible à ranger dans un groupe ou une école déterminée, sans parenté avec les grands édifices contemporains ; elle s’impose comme la création d’un architecte audacieux et génial, maître expérimenté de son métier. Son but et les moyens d’y parvenir apparaissent nettement : dépasser tout ce qui fut tenté jusque-là pour atteindre au grandiose dans l’extrême élévation.»...

....« L’extraordinaire édifice, où traditions archaïques et nouveautés furent si singulièrement employées pour tendre obstinément à un but déterminé, ne semble par ailleurs guère avoir fait école. Placé en dehors des grands chemins, n’abritant pas de pèlerinage réputé, il ne dépendait pas d’un ordre, couvrant le sol de ses rameaux, qui se soit trouvé à l’origine de profonds échanges d’influences artistiques. Parvenue au point extrême du raffinement et de la tension, espèce de défi aux lois de l’équilibre, l’église de Saint-Martin aura causé plus d’admiration et d’inquiétude en son temps que de désir d’imitation. »...

                                            Les vitraux

...« Les sept grandes fenêtres du sanctuaire qui sont l’essentielle beauté de Saint-Martin sont décorées de grisailles. Trois de ces grisailles sont d’habiles restaurations ; quatre sont anciennes et doivent dater de 1260 environ, comme le suppose l’abbé Morel, car elles furent offertes par Jean de Rouvilliers, dont le parent Hugues était abbé de Saint-Martin vers ce temps-là. C’est un petit panneau de l’époque représentant Jean de Rouvilliers identifié par une inscription et offrant son vitrail, qui permet d’affirmer cette donation.

Ces grisailles, dont l’aspect évoque les verrières cisterciennes, montrent des fleurs et des réseaux de teinte noire jetés sur un fond uniforme d’un gris verdâtre. Elles forment une sorte de rideau qui tamise le jour autrement trop éclatant et met l’architecture mieux en valeur que des vitraux coloriés. La petite échelle de leurs motifs ajoute à l’impression d’envol du chœur.»

 

 (1)   R. Camus, Journal 2022, entrée du 29 janvier.

 (2)   J. Vernet-Ruyz et J. Vanuxem, Bulletin Monumental tome 103, n°2.