À propos du caractère unique de l'abbatiale de Saint-Martin-aux-Bois

Peu d'entre-nous et encore moins de visiteurs apprécient à sa juste valeur le caractère unique de l'église abbatiale de Saint-Martin-aux-Bois. Sobre et modeste mais extraordinaire par la qualité de son architecture, l'élan des sept baies vitrées de l'abside, l'élégance discrète de ses voutes et de son impressionnante élévation elle reste aujourd'hui le modèle inaltéré, unique, de la période du gothique rayonnant tel que bâti par les Augustiniens, mais aussi les Prémontrés et les Cisterciens.

 

Pour m’expliquer de cette introduction, il me faut faire appel à un chercheur français exceptionnel, méconnu en France, mais célèbre en Grande Bretagne et aux Etats-Unis : Jean Bony.

Jean Victor Bony, 1908-1995

Biographie résumée :

Jean Victor Bony est né au Mans en 1908. Élève de Henri Francillon à La Sorbonne, il sera Agrégé d’Histoire et de Géographie en 1933 ; il obtient une bourse de recherche de son Université en 1935 pour aller étudier en Angleterre les édifices “Normands“. À la fin de sa bourse, pour continuer ses recherches, il accepte un poste de professeur de français à Eton. Pendant cette période il écrit plusieurs articles. Il revient en France en 1939 pour servir dans l’infanterie pendant la “drôle de guerre“ ; il est fait prisonnier et envoyé dans un camp d’internement en Allemagne d’où il reviendra en 1943. Il est démobilisé en 1944 avec le grade de lieutenant.

Titulaire d’une bourse du CNRS d’un an il enseigne à l’Institut Français de Londres tout en poursuivant ses recherches. Mais malgré ses publications (il publie en 1951, un livre sur les “cathédrales françaises“) et son travail avec le médiéviste George Zarnecki, il n’obtient aucune nomination en France. Par-contre il est nommé Professeur à l’Université de Cambridge (St-John’s College). En 1961, invité à New-York par l’Université Columbia pour y faire une série de cours, l’Université de Berkeley en Californie le recrute comme Professeur à partir de 1962. Il y restera jusqu’à sa retraite en 1980. Professeur “émérite“, il continuera d’enseigner jusqu’en 1988. Pendant toute cette période il fera de nombreuses publications dont en particulier le célèbre ouvrage de référence : “French Gothic Architecture of the 12th and 13th Centuries“ publié en anglais à Berkeley par University of California Press en 1983, d’où j’extrais quelques lignes consacrées à l’abbatiale de Saint-Martin-aux-Bois (largement décrite dans cet ouvrage qui fait autorité, consultable au bureau de notre association).

Couverture de l'édition originale, 1983

Extraits du chapitre “Version austère du style gothique rayonnant”:

St Martin aux Bois, église classée en 1840

“Un style austère simplifié…

…avant 1250 une réaction s’était déjà manifestée en direction de l’austérité et de la simplification, s’exprimant par un retour vers des murs de surface plane et, en général, vers une interprétation plus sévère de l’architecture. Ceci suggère une influence croissante des Cisterciens… les Cisterciens avaient été les protagonistes d’un idéal d’esthétique retenue… mais d’autres ordres semblent avoir joué une non moins active part dans sa mise en œuvre au nombre desquels les Augustiniens… qui ont tenté de traduire ces préceptes du gout Cistercien d’une manière toutefois moins radicale.Une image contenant fenêtre, extérieur, bâtiment, pierre

Description générée automatiquement  L’un des exemples les plus précoces et les plus beaux de cette tendance nouvelle est l’église de Saint-Martin-aux-Bois… son dépouillement raffiné se présente comme une riposte au luxe de sa contemporaine la Sainte Chapelle.  Le plus frappant est la qualité du mur de l’élévation intérieure de la nef, une qualité soulignée par les petits quadrilobes taillés dans ses murs très fins… la qualité lisse de la surface plane  combinée à un puissant élan vertical à la fois par le rapport au volume et par la forme et la hauteur des fenêtres hautes… et cela n’exclue pas une vigueur inhabituelle dans plusieurs de ses accents linéaires : dans les monumentales baies vitrées de l’abside les meneaux qui coupent horizontalement, par le milieu, les immenses lancettes sont probablement les premiers vrais étrésillons apparus dans un réseau gothique”.

Références complémentaires :

1- autres églises abbatiales de style "gothique rayonnant austère" :

  1. Hambye (Manche), ruines classée MH ruines 1925
  2. Les Chateliers (near Poitiers, plusieurs fois modifiée)
  3. Le Lys (near Melun, ruines)
  4. Mussy-sur-Seine (mix influence anglaise, modifiée)
  5. L’Epau (Nièvre), ruines, église d’une abbaye cistercienne classée MH ruines en 1927
  6. St-Jean-des-Vignes (Soissons), église mi-XIII°s classée MH ruines 1875.

L'église de Saint-Martin-aux-Bois perdue au milieu du plateau picard, en dehors des chemins répertoriés des pèlerinages vers Saint-Jacques de Compostelle, en dépit des destructions de la guerre de Cent-ans et de celles de la révolution, est restée inaltérée. Les ajouts faits sous l'abbatiat de Guy de Beaudreuil (1492-1531) n'ont concerné, dans l'église, que le mobilier, les stalles en particulier, mais l'architecture n'a pas été touchée. L'ajout de la chapelle au sud (aujourd'hui la sacristie) a totalement respecté l'église elle-même.

2- Les baies vitrées comparées :

  1. Ste Chapelle de Paris : les plus hautes baies vitrées 15,35 m.
  2. St Martin aux Bois : les 7 baies vitrées de l’abside , chacune : 21,50 m.